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La modernité n'exclut pas la prudence : les travaux supplémentaires commandés par email doivent être payés

20 June 2025

Par un arrêt du 16 mai 2025 (n° 23PA03909), la Cour Administrative d'Appel de Paris a jugé que le titulaire d'un marché public de travaux, conclu à prix global et forfaitaire, pouvait prétendre au paiement de travaux supplémentaires qui, bien qu'ils n'aient pas fait l'objet d'un ordre de service notifié dans les conditions prévues par le CCAG-Travaux, avaient été demandés par un email du maître d'ouvrage.

On rappellera que l’article 3.8 de ce CCAG prévoit que les OS sont écrits, datés et numérotés.

On sait de plus que le droit public n’est pas excessivement formaliste, de sorte que les exigences formelles semblent largement céder le pas à la question de savoir s’il existe ou pas une demande du maître d’œuvre ou du maître d’ouvrage.

Le fait d’être écrit ne semble appeler aucune forme obligatoire. Il peut s’agir de simples plans transmis (CE, 26 juillet 2006, Commune de Châteauponsac, n° 269052) ou validés par le maître d’œuvre qui donne l’ordre de les exécuter (CE, 25 juin 1975, Ville de Joigny, n° 84979 et 93218, au recueil).

Le juge admet aussi les ordres non écrits l’entrepreneur devant rapporter la preuve de la demande (CE, 19 juin 1981, n° 03822, aux tables ; CE, 19 mars 1982, n° 18632 aux tables ; CE, 5 novembre 1980, SARL Parachini, n° 15345 ; CE, 19 mars 1982, Département de la Réunion, n° 18632, aux tables).

Ces solutions ont bien été rappelées par une récente décision du Conseil d'Etat posant le principe selon lequel l'entreprise a droit au paiement des travaux supplémentaires réalisés à la demande, y compris verbale, du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre, même sans ordre de service (CE, 17 mars 2025, Société Eiffage Construction Sud-Est, n° 491682, aux tables, cons. 3).

Le formalisme un peu suranné du CCAG s'adapte donc progressivement au monde moderne et au pragmatisme souvent nécessaire à la fluidité d’une opération de travail public.

Dans un marché à forfait, le prix est fixé de manière globale au regard de l'objet du contrat et n'a, en principe, pas vocation à être modifié. Le paiement des travaux supplémentaires soulève donc une question délicate, qui fait régulièrement débat dans les litiges d'exécution.

L'affaire portée devant la Cour Administrative d'Appel de Paris avait trait à l'exécution d'un marché de travaux relatif à la réhabilitation d'un ensemble immobilier, boulevard Raspail (Paris 14), devant abriter le siège du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), conclu entre le CNC, maître d'ouvrage, et la société Les Ateliers de Reims.

Le CNC avait demandé, par email, la modification des agencements dans les espaces de détente du bâtiment. Les plans modifiés de ces espaces de détente avaient par ailleurs reçu le visa conforme du maître d'œuvre. La société Les Ateliers de Reims avait établi un devis en conséquence, retraçant le coût de cette modification.

Se posait ainsi la question de savoir si le titulaire du marché pouvait prétendre au paiement des travaux supplémentaires, qui n'avaient pas fait l'objet d'un ordre de service, mais d'une demande par email du CNC, maître de l'ouvrage.

La Cour a répondu par l'affirmative, en rappelant tout d'abord les règles posées par le Conseil d'Etat dans la décision précitée du 17 mars 2025 (cons. 10) :

  • Lorsque le titulaire d'un marché public de travaux conclu à prix global et forfaitaire exécute des travaux supplémentaires à la demande, y compris verbale, du maître d'ouvrage ou du maître d'œuvre, il a droit au paiement de ces travaux, quand bien même la demande qui lui en a été faite n'a pas pris la forme d'un ordre de service notifié conformément à ce que prévoient en principe les stipulations de l'article 14 du CCAG-Travaux 2009 applicable en l'espèce (voir article 13 dans le CCAG-Travaux 2021).
  •  En revanche, lorsque le titulaire du marché exécute de sa propre initiative des travaux supplémentaires, il n'a droit au paiement de ces travaux que s'ils étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.

Faisant application de ces principes, la Cour a ensuite constaté que le CNC, en sa qualité de maître d'ouvrage, avait bien formalisé, par un email, une demande de travaux supplémentaires, ce qui ouvrait droit au paiement du devis correspondant (cons. 15). La circonstance que ces travaux n'aient pas fait l'objet d'un ordre de service était sans incidence sur le bien-fondé de la demande de paiement de la société Les Ateliers de Reims.

La jurisprudence récente du Conseil d'Etat et, dans son prolongement, l'arrêt rendu par la Cour, apportent une simplification bienvenue au régime applicable aux travaux supplémentaires qui, bien que réalisés sans ordre de service, n'ont pas pour autant été effectués de la propre initiative de l'entreprise.

Le recours à l'ordre de service, exigé par le CCAG-Travaux, apparaît dès lors comme une prescription formelle qui repose sur le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre. Elle ne conditionne pas la naissance de l'obligation contractuelle qui impose à l'acheteur public de procéder au paiement des travaux qu'il a demandés. S'il est établi qu'une demande de travaux supplémentaires a bien été formulée et que l'entreprise s'est exécutée, rien ne s'oppose à ce que ces prestations fassent l'objet d'un paiement.

Le Conseil d'Etat va plus loin dans la voie de l'allégement du formalisme, puisqu'il considère que le fait que la demande de travaux supplémentaires n'ait pas été écrite est sans conséquence sur le droit au paiement. Toutefois, comme le relève le rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions sous la décision du 17 mars 2025 précitée, il est souvent plus difficile de rapporter la preuve d'un ordre verbal que d'un ordre écrit. Dans le cas où l'administration nierait avoir demandé verbalement à l'entreprise d'effectuer des travaux supplémentaires, le juge aurait certainement des difficultés à retenir le contraire.

Cette jurisprudence, favorable aux entrepreneurs, suscitera sans nul doute de nombreuses applications par les juges du fond, qui devront déterminer si une demande, écrite ou verbale, a bien été adressée au titulaire du marché. Prises dans leur ensemble, les règles sont désormais claires, et appellent une vigilance accrue de l'administration dans ses échanges, écrits ou oraux, avec les entreprises de travaux.

S’il faut protéger l’entrepreneur contre des demandes désordonnées du maître d’ouvrage, il faut aussi recommander à tous de formaliser la demande d’une façon ou d’une autre dans l’intérêt commun : le travail du juge en est facilité et les aléas des circonstances de fait limités.

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