Loi "Pinel"
Précisions jurisprudentielles sur le droit de préemption du locataire et la refacturation des charges
Droit de préemption "Pinel"
La Cour de cassation a apporté des clarifications quant au champ d'application du droit de préemption "Pinel" en interprétant de manière restrictive les dispositions de l'article L. 145-46-1 du Code commerce. Pour mémoire, aux termes de cet article, le locataire commercial bénéficie d'un droit de préemption dans le seul cas où "le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci".
- Un local industriel n'est pas un local commercial ou artisanal : la Cour de cassation exclut pour la première fois les locaux industriels du droit de préemption "Pinel" et définit la notion de local industriel. Aux termes de cette décision, constitue un local industriel, "tout local principalement affecté à l’exercice d’une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre est prépondérant".
Nota Bene : dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique en cours de discussion, il est proposé de définir la notion de local commercial ou artisanal ; le texte (provisoire) du projet de loi prévoit la définition suivante : "un local à usage commercial au sens du présent article s’entend de tout local aménagé, à titre principal, pour l’accueil physique d’une clientèle en vue de la vente sur place de biens ou de la réalisation sur place de prestations de services. Un local à usage artisanal au sens du présent article s’entend de tout local aménagé à titre principal pour des activités de production, de transformation, de réparation ainsi que pour la vente des biens et services résultant de ces activités et au sein duquel est reçue à titre habituel la clientèle."
- Le vendeur ne doit pas être contraint de vendre : la Cour de cassation précise que le droit de préemption "Pinel" ne peut s'appliquer dans le cas de ventes faites sous autorité de justice (vente judiciaire sur saisie immobilière, vente dans le cadre d'une liquidation judiciaire). S'il y a effectivement vente, celle-ci n'est toutefois pas décidée par le propriétaire. Dans ces hypothèses, le propriétaire ne peut donc être considéré comme "envisageant" de vendre son bien au sens de l'article L. 145-46-1 du Code commerce
Décisions:
- Cass. 3ème civ., 29 juin 2023, n°22-16.034 ;
- Cass. 3ème civ., 15 février 2023, n°21-16.475 ;
- Cass. 3ème civ., 30 novembre 2023, n° 22-17.505;
Refacturation des charges et inventaire "Pinel"
L'article L. 145-40-2 du Code de commerce prévoit que "tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l'indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire". En se fondant sur ces dispositions, les juges de la Cour d'appel de Versailles ont considéré que l'inventaire "Pinel" constitue la seule façon d'imputer des charges au locataire.
Cette décision est notable non seulement car il est rare que les juges se prononcent sur cette question mais aussi en raison de la solution, surprenante, qui a été retenue.
En l'espèce, les stipulations du bail soumis à l'analyse de la Cour d'appel, qui pourtant prévoyaient des modalités de refacturation des charges, ont été jugées illicites au motif qu'elles "contournaient" la règle de l'article L. 145-40-2 du Code de commerce. Selon la Cour d'appel de Versailles, l'inventaire "Pinel" doit nécessairement constituer une annexe du bail.
Cette solution nous paraît toutefois contestable dans la mesure où la loi Pinel n'exige nullement que l'inventaire visé par l'article L. 145-40-2 prenne la forme d'une annexe au bail. Bien que la portée de cette décision, s'agissant d'un arrêt isolé de Cour d'appel, puisse être relativisée, une prise de position par la Cour de cassation serait souhaitable étant donné l'insécurité juridique qu'elle risque d'engendrer.
Décision:
- CA Versailles, 7 mars 2024, n°22/05759
Clauses contractuelles de refacturation des charges
Selon le principe défini à ce jour par la jurisprudence, un bailleur ne pourra refacturer au locataire une charge autre qu'une dépense dite "locative" (et à l’exception des “grosses réparations”), qu'à la condition qu'une clause claire et précise soit stipulée dans le bail. Dans trois récentes décisions, les juges ont eu l'occasion d'appliquer cette règle avec rigueur.
En l'espèce, les juges rappellent qu'à défaut de mention expresse, les dépenses relatives à la réfection de la toiture (lorsqu'une telle réfection ne peut être assimilée à une "grosse réparation" au sens de l'article 606 du Code civil), ou celles liées à la vétusté, ne pourront être valablement refacturées au locataire.
En cas de contentieux avec le locataire concernant la refacturation des charges, les juges interpréteront strictement les clauses du bail. Les énumérations indicatives et non-limitatives, ou les clauses de type "catch all" (ex : "le locataire prenant à sa charge l'ensemble des réparations rendues nécessaires") seront ainsi considérées comme insuffisantes pour permettre au bailleur de refacturer des dépenses autres que celles relevant de la catégorie des réparations locatives.
Décisions:
- Cass. 3ème civ., 16 mars 2023, n°21-25.107 ;
- CA Rouen, 30 mars 2023, n°22/01253 ;
- CA Lyon, 22 juin 2023, n°22/03628;