Les dispositions incriminées du code monétaire et financier (1) permettent aux enquêteurs de l'AMF, sur autorisation préalable du juge des libertés et de la détention (JLD), d'effectuer des visites en tous lieux, procéder à la saisie de documents et, ce qui faisait l'objet des critiques de la partie requérante, recueillir les explications des personnes sollicitées sur place. Or, le texte ne prévoit pas l'obligation pour les enquêteurs de notifier à ces personnes le droit qu'elles ont de se taire.
Le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les mots "et au recueil, dans les conditions et selon les modalités mentionnées aux articles L. 621-10 et L. 621-11, des explications des personnes sollicitées sur place" figurant au premier alinéa de l'article L. 621-12 du CMF.
Cette décision était très attendue pour deux raisons. D'une part, il s'agit de la première fois que le Conseil constitutionnel était amené à se positionner sur l'applicabilité du droit de se taire aux autorités indépendantes de régulation. D'autre part, la QPC soulevée posait la délicate question de savoir à quel moment l'exigence de notifier le droit de se taire doit être mise en œuvre. Dans le cas d'espèce, le Conseil avait à se prononcer sur l'applicabilité du droit de se taire à la phase d'enquête de l'AMF, préalable à la notification des griefs.
Les enjeux de cette décision ont été bien compris, puisque six autres autorités de régulation (ARCEP, CNIL, ANJ, ART, CRE, ARCOM) sont intervenues dans cette affaire au soutien de la position défendue par l'AMF.
L'extension prévisible du droit de se taire aux autorités de régulation sanctionnatrices
Comme cela était attendu, le Conseil constitutionnel a fait application du droit de se taire à l'AMF, sans énoncer d'autre principe que celui qu'il rappelle désormais dans chaque affaire portant sur le droit de se taire (2): l'obligation de notifier ce droit s'applique "non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition" (§5).
La décision rendue ne ferme donc pas la porte à des contestations ultérieures, qui viendraient invoquer le non-respect du droit de se taire dans le cadre de procédures des autorités indépendantes investies d'une mission de régulation et de sanction.
En ce sens, bien que le Conseil constitutionnel ne fasse pas droit à la demande de l'ADAP, la décision permet incontestablement de franchir un cap en reconnaissant qu'il est légitime de questionner la constitutionnalité des procédures engagées par les autorités de régulation au regard du droit de se taire. Cette exigence n'est aujourd'hui plus cantonnée aux matières pénale et disciplinaire.
Cette nouvelle "victoire" du droit de se taire est cependant contrastée, puisque le Conseil constitutionnel pose une importante limite en décidant de son inapplicabilité à la phase d'enquête préalable de l'AMF.
L'inapplicabilité du droit de se taire à la phase d'enquête préalable de l'AMF
Le Conseil constitutionnel établit une séparation entre la phase d'enquête, que l'AMF avait pu qualifier d'"administrative" lors des débats, et la phase de sanction, la limite entre les deux étant marquée par la "mise en cause" de la personne poursuivie :
"Les dispositions contestées n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de permettre le recueil par les enquêteurs de l’Autorité des marchés financiers des explications d’une personne sur des faits pour lesquels elle serait mise en cause. Elles n’impliquent donc pas que la personne sollicitée se voie notifier son droit de se taire. Par suite, la circonstance que les explications recueillies puissent porter sur des faits qui seraient susceptibles de lui être ultérieurement reprochés dans le cadre d’une procédure de sanction ouverte par cette autorité ou d’une procédure pénale ne saurait être contestée sur le fondement des exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789." (§10).
Outre qu'il n'est pas toujours simple de déterminer quand débutent les poursuites engagées par les autorités de régulation, la solution retenue par le Conseil constitutionnel laisse entière la question du sort des déclarations recueillies lors de l'enquête qui resteront présentes au dossier et pourront être utilisées contre les personnes entendues. La décision prend tout de même le soin de préciser qu'il appartient au juge du contrôle des procédures d'investigation de vérifier que les déclarations ont été récoltées dans des conditions respectant la loyauté de l'enquête.
Un arrêt récent de la Cour administrative d'appel de Nancy, portant sur le recours d'une société exerçant une activité de contrôle technique, dirigé contre une décision préfectorale suspendant un agrément, montre bien la complexité de la question (3).
L'un des moyens soulevés par le requérant avait trait au respect du droit de se taire dans le cadre de la procédure de contrôle de son activité. Le juge d'appel a considéré que : "De telles exigences impliquent que le professionnel faisant l’objet d’une procédure de contrôle de son activité ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire. (…) En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s’applique pas aux enquêtes et inspections diligentées par les services d’inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements".
La question du moment de la notification n'a donc rien d'évident, et ne cessera sans nul doute de nourrir le contentieux de la répression administrative, devant le Conseil d'Etat ou le Conseil constitutionnel.
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Premier alinéa de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier
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Décision n° 2023-1074 QPC du 9 décembre 2023 ; Décision n° 2024-1097 QPC du 26 juin 2024 ; Décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024
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CAA Nancy, 11 mars 2025, Sté Contrôle technique d'Oswald, n° 22NC00821