Rappel des faits et de la procédure
Le tribunal correctionnel a condamné une SCI et deux SARL, ainsi que leur gérant, pour différentes infractions au droit de l’urbanisme, en lien avec l’exploitation d’un camping. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision. Quelques mois plus tard, les deux SARL ont procédé à une fusion-absorption.
La cour d’appel a condamné les sociétés à des peines d’amende et a ordonné la remise en état des lieux. Les sociétés et leur gérant se sont alors pourvus en cassation.
Contexte
En 2020, un arrêt majeur (n°18-86.955 du 25 novembre 2020) avait déjà opéré un revirement en jugeant qu'une société anonyme (SA) absorbante pouvait être pénalement responsable des infractions commises par la société absorbée avant la fusion. Cet arrêt se fondait sur la directive de 1978 (aujourd'hui directive 2017/1132).
Nouveauté de l'arrêt du 22 mai 2024
La Cour de cassation étend désormais cette jurisprudence aux sociétés à responsabilité limitée (SARL). La Cour corrige la décision de la Cour d'appel en affirmant que les SARL ne sont pas soumises à la directive de 1978, mais applique tout de même la solution à ces sociétés.
Décision
La Cour juge qu'une SARL absorbante peut être condamnée à une peine d'amende ou de confiscation pour des infractions commises par la société absorbée avant la fusion. Cette décision est justifiée par la continuité de l'activité économique et fonctionnelle entre les deux entités, considérant que la société absorbante poursuit l'objet social de la société absorbée.
Implications
- Pour les juristes et les entreprises : Cette extension impose une vigilance accrue lors des opérations de fusion-absorption. La responsabilité pénale pour des actes antérieurs à la fusion doit être envisagée dans la gestion des risques et la due diligence.
- Jurisprudence prévisible : La Cour estime que cette solution était raisonnablement prévisible depuis l'arrêt de 2020 et la rend applicable aux fusions conclues après le 25 novembre 2020.
Cette décision renforce la continuité des obligations entre les sociétés fusionnées et accentue l'importance d'une évaluation rigoureuse des risques légaux avant toute opération de fusion. Les praticiens du droit devront intégrer cette nouvelle dimension dans leurs conseils aux entreprises.
Conclusion
L'arrêt du 22 mai 2024 représente une avancée significative dans le droit des sociétés, soulignant que la responsabilité pénale peut être transférée à la société absorbante, même pour les SARL. Une évolution prévisible mais désormais clairement affirmée par la Cour de cassation.
A l’aune de ces différents arrêts, et sous réserve d'une nouvelle précision de la Cour de cassation, trois situations peuvent désormais être distinguées
- lorsqu’une opération de fusion-absorption est frauduleuse (accomplie dans l'unique but de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale), la responsabilité pénale de la société absorbée se transmet à la société absorbante, sans limite ni condition d’aucune sorte ; avec le risque, dans un tel cas, que toutes les peines prévues à l’article 131-39 du code pénal soient transmises ou prononcées à l’égard de la société absorbante, et pas seulement les peines d’amende et de confiscation.
- lorsqu’une opération de fusion-absorption n’est pas frauduleuse, si elle est postérieure au 25 novembre 2020, la responsabilité pénale de la société absorbée se transmet à la société absorbante, mais seules les peines d’amende et de confiscation peuvent être prononcées ; la Cour de cassation justifie cette restriction par le fait que la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante constitue le fondement du transfert de responsabilité pénale dans ce type d’opérations ;
- lorsqu’une opération de fusion-absorption n’est pas frauduleuse, si elle est antérieure au 25 novembre 2020, la responsabilité pénale de la société absorbée ne se transmet pas à la société absorbante.