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Marchés publics et privés: Faire face aux bouleversements économiques en cours

28 September 2022

Quelques outils peuvent être mobilisés pour indemniser les surcoûts. Le meilleur restant… le dialogue !

Depuis le dernier trimestre 2021, la France fait face à une flambée du prix de certaines matières premières. Pour compenser cette hausse dans le cadre de marchés, une indemnisation du cocontractant est le plus souvent nécessaire, du fait de l’inexistence ou de l’inadéquation de clauses de variation des prix.

Que ce soit pour des marchés publics ou privés, des solutions existent, bien qu’elles ne soient pas entièrement satisfaisantes. La plus répandue est désormais le recours à la théorie de l’imprévision. Cette dernière est acceptée de longue date en matière administrative depuis le célèbre arrêt « Gaz de Bordeaux » (CE, 30 mars 1916, n° 59928, publié au Recueil) dont les principes ont été repris à l’article L. 6, 3° du Code de la commande publique (CCP). Il en est de même, de façon plus récente, en droit des contrats privés depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qui introduit en cette matière la révision des contrats pour imprévision. En tout état de cause, la meilleure solution reste, comme le rappelle le professeur Hugues Périnet-Marquet, la renégociation de bonne foi du contrat entre les parties (1).

En matière de marchés publics

La théorie de l’imprévision. La théorie de l’imprévision permet à l’opérateur qui poursuit l’exécution du contrat d’obtenir une indemnité qui n’est toutefois que partielle. Trois conditions doivent être remplies : la survenance d’un événement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat. La circulaire du Premier ministre du 30 mars 2022 (2) considère que les deux premières conditions sont de facto remplies au regard du contexte actuel d’instabilité et d’envolée sans précédent des prix de l’énergie et de certaines matières premières, aggravé par la guerre en Ukraine. Pour le critère du bouleversement temporaire de l’équilibre du marché, une appréciation au cas par cas de la situation des cocontractants de l’acheteur public est nécessaire. Les conditions de preuve de ce bouleversement sont strictes : un déficit réellement important devra être établi en appréciant la différence entre le coût initial du marché et son coût actuel. L’opérateur devra rapporter la preuve en se fondant sur des pièces comptables. Ce n’est en principe, rappelle la circulaire, que si le montant des charges extracontractuelles causées par la hausse des prix est au minimum d’un quinzième du montant initial HT du marché ou de la tranche concernée que cette condition sera remplie et qu’une indemnité partielle pourra être versée. Reste qu’il est difficile pour les entreprises de démontrer de manière aussi précise le bouleversement économique. Les pièces comptables peuvent ne pas être suffisantes ou encore les opérateurs peuvent être réticents à l’idée de transmettre le détail de leur prix de revient et leur marge bénéficiaire ou leurs débours au cours de l’exécution du marché.

Les circonstances imprévues. Une autre solution est l’utilisation des circonstances imprévues de l’article R. 2194-5 du CCP. Cette hypothèse vise un acheteur qui, bien qu’ayant fait preuve d’une diligence raisonnable lors de la préparation du contrat, fait face à des circonstances extérieures qu’il n’aurait pas pu prévoir. Il s’agit de tous les événements susceptibles d’avoir des conséquences sur les conditions techniques d’exécution des contrats publics. La circulaire mentionne à ce titre la pénurie des matières premières ou encore la hausse des prix d’approvisionnement. Cette solution a l’inconvénient de devoir modifier a posteriori le périmètre des prestations ou d’adapter les conditions d’exécution du marché, lesquelles doivent être liées à son objet afin d’obtenir une augmentation du prix convenu, dont le montant peut atteindre 50 % du marché initial (article R. 2194-3 du CCP).

Pour répondre aux voix qui s’élèvent contre la difficulté de mettre en oeuvre la théorie de l’imprévision et le manque de souplesse pour l’application de l’article R. 2194-5 du CCP, la Direction des affaires juridiques de Bercy a saisi le Conseil d’Etat [qui devrait se prononcer en septembre, NDLR] afin d’obtenir son avis sur la conciliation entre la théorie de l’imprévision et les circonstances imprévues. Une clarification ainsi qu’un assouplissement dans la mise en oeuvre de ces mécanismes seraient les bienvenus dans le contexte économique actuel.

En matière de marchés privés

Si l’on reprend les propos du professeur Périnet-Marquet lors de la conférence du 2 juin dernier, parmi tous les instruments prévus dans le Code civil depuis sa réforme de 2016, seule la théorie de l’imprévision permet d’obtenir une indemnisation. En marchés privés, il est possible de recourir à cette théorie prévue à l’article 1195 du Code civil lorsqu’"un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ». Le cocontractant peut ainsi, si les conditions sont réunies, obtenir une renégociation du contrat et donc de ses conditions financières. Toutefois, l’utilisation de la théorie de l’imprévision présente plusieurs limites. D’une part, elle ne s’applique ni aux contrats d’adhésion, ni aux marchés à forfait et ni aux contrats spéciaux du secteur protégé. D’autre part, la majeure partie des contrats contiennent une clause visant à exclure ce mécanisme, et cette renonciation est considérée comme valable et opposable, le texte de l’article 1195 du Code civil étant supplétif de volonté. Les parties peuvent aussi être tentées d’invoquer la force majeure, mais son admission reste discutable et incertaine selon le professeur. A considérer qu’elle soit admise, ce dernier rejette son utilisation pour les aspects financiers des contrats et donc leur indemnisation.

Dialogue et règlement amiable

Du fait des limites des mécanismes évoqués, la solution la plus efficace aujourd’hui demeure la négociation de bonne foi pour aboutir au règlement amiable du différend causé par la hausse des prix dont la prise en charge finale peut être directement appréciée par les parties au contrat. Le règlement amiable peut aussi être une solution mise en place en amont dans le contrat afin de prévenir des litiges liés à des bouleversements économiques entraînant des difficultés financières. Il s’agit par exemple du recours à un tiers au contrat afin d’en réaliser un audit et faire émerger un accord en cours d’exécution.

(1) Colloque « Les contrats de construction et de Vefa face au bouleversement des circonstances économiques » organisé le 2 juin 2022 par l’AFDCI et Juridim.

(2) Circulaire n° 6338-SG relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières.

Ce qu’il faut retenir

  • En marchés publics comme en marchés privés, la solution aujourd’hui privilégiée pour indemniser les opérateurs économiques des hausses de prix importantes des matières premières est le recours à la théorie de l’imprévision.
  • Cela suppose cependant de remplir un certain nombre de conditions, et notamment de démontrer au cas par cas le bouleversement temporaire de l’équilibre du marché.
  • Une modification du marché public est également possible en vertu de l’article R. 2194-5 du Code de la commande publique relatif aux « circonstances imprévues ».
  • La solution la plus simple et la plus efficace reste la négociation de bonne foi entre les parties pour aboutir à une solution amiable

Cet article est paru dans Le Moniteur n°6206 du 26 août 2022 (réservé aux abonnés)

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