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Sous-traitance: l'indéfectible nullité du contrat résultant du défaut de garantie

18 February 2022

La renonciation du sous-traitant à cette mesure de protection est très difficile à faire admettre. 

Cet article est paru dans Le Moniteur n°6175 du 21 janvier 2022 (réservé aux abonnés)

En 2020, la chambre commerciale de la Cour de cassation semblait avoir ouvert une porte concernant l’éventuelle régularisation de la nullité d’ordre public résultant du défaut de fourniture, par l’entrepreneur principal, avant la signature du contrat de sous-traitance, de la caution prévue par l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 (Cass. com., 9 septembre 2020, n° 18‑19250 [1]). Mais cette porte s’est refermée, avec l’arrêt rendu par la cour d’appel de renvoi (CA Nîmes, 16 juin 2021, n° 20/02644).

La question de la chambre commerciale : peut-on renoncer à une nullité d’ordre public ?

A l’époque en effet, la Haute juridiction avait censuré un arrêt de la cour d’Aix-en-Provence : elle reprochait aux juges de n’avoir pas recherché si l’exécution sans réserve de nombreuses commandes par le sous-traitant n’équivalait pas à une renonciation de celui-ci à se prévaloir de la nullité de l’article 14 conçue pour sa protection. La décision était rendue au visa des dispositions de l’article 1182 du Code civil relatives à la renonciation. 

Cela n’allait pas de soi, compte tenu de la rédaction de la loi de 1975. L’article 14 indique en effet : « A peine de nullité du soustraité les paiements de toutes les sommes dues par l’entrepreneur au sous-traitant […] sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l’entrepreneur d’un établissement qualifié […]. Cependant, la caution n’aura pas lieu d’être fournie si l’entrepreneur délègue le maître de l’ouvrage au sous-traitant dans les termes de l’article 1338 du Code civil, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant. »

Relative ou absolue

L’entrepreneur principal choisit donc entre délégation du maître d’ouvrage et caution solidaire, préalablement à la signature du sous-traité. Et, rappelle l’article 15 de la même loi, « sont nuls et de nul effet, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi ». 

Cette rédaction un peu redondante donne une grande force à la nullité de l’article 14. Curieusement, cette nullité que l’on pouvait imaginer relative car ayant été instituée au seul bénéfice du sous-traitant considéré comme la partie à protéger, et à laquelle celui-ci aurait pu alors seul renoncer dans certaines conditions, se présente plus, au regard de la jurisprudence régulière et bien établie de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, comme un interdit auquel on ne peut déroger, et donc comme une nullité absolue. L’arrêt précité de la chambre commerciale demandait cependant à la cour d’appel de renvoi de déterminer dans quelles conditions un sous-traitant pourrait avoir manifesté sa renonciation à ce mécanisme d’ordre public de niveau élevé.

La réponse de la pratique : la renonciation est quasi impossible 

Devant la cour d’appel de Nîmes, l’entrepreneur principal n’a pas ménagé sa peine. Il a conclu longuement que le sous-traitant avait exécuté pas moins de 122 commandes sans jamais bénéficier de cette garantie, dont il connaissait nécessairement l’existence (étant une filiale d’un groupe national de construction), et y avait donc renoncé en exécutant ces commandes jusqu’à leur terme et en n’invoquant le bénéfice de ces dispositions qu’a posteriori pour remettre en cause l’édifice contractuel initial et les prix forfaitaires alors convenus. 

La cour de Nîmes ne s’est pas montrée réceptive à cette argumentation. Il résulte en substance de sa décision que l’entrepreneur principal ne parvient qu’à démontrer l’exécution des commandes, sans prouver que celle-ci aurait emporté renonciation au bénéfice de la loi. La cour précise même que le sous-traitant a invoqué en 2012 les dispositions de la loi de 1975, par une lettre d’avocat, afin de contester la validité du contrat initial conclu en 2010 pour 220 000 euros et réclamer 223 706 euros supplémentaires compte tenu des commandes additionnelles passées jusqu’en 2011. Elle confirme donc la décision de première instance, qui avait retenu que le sous-traité était nul à défaut de caution émise avant sa signature. Et condamné, compte tenu des paiements déjà intervenus à mesure de l’exécution des 122 commandes, l’entrepreneur principal au paiement d’une somme complémentaire de 102 000 euros et de 8 000 euros de frais financiers, soit un peu moins de la moitié de ce qui était demandé.

Ouverture très étroite

L’ouverture que l’on pouvait voir dans l’arrêt de la chambre commerciale s’avère donc bien étroite, puisqu’il faut non seulement démontrer une exécution du marché, mais aussi une exécution en connaissance de cause de la nullité dont on pourrait déduire la renonciation à celle-ci par son bénéficiaire. On voit assez mal comment cela pourrait advenir, sauf à ce que le sous-traitant ait écrit qu’il renonçait au bénéfice de ces dispositions, ce qui paraît difficile à imaginer. L’arrêt de la cour de Nîmes s’inscrit donc dans une tendance jurisprudentielle protectrice des sous-traitants qui exige des actes clairs pour en déduire la renonciation au système protecteur, et considère que les sommes payées sont en fait des avances sur une indemnisation ultérieure à déterminer à l’issue d’une expertise. 

Dans le même sens, peut être relevé un arrêt de la cour d’appel de Pau qui infirme un jugement ayant rejeté la demande de nullité et paradoxalement ordonné une mesure d’instruction pour évaluer les surcoûts exposés par le sous-traitant (CA Pau, 24 janvier 2018, n° 15/04537). La cour a considéré que le non-respect des dispositions de la loi « est de nature à entraîner la nullité du sous-traité, peu important qu’un acte de cautionnement ait été obtenu par la suite… et que le sous-traitant ait exécuté les travaux contractuellement mis à sa charge et reçu le prix convenu ». Elle ajoute même que l’exécution du marché et la perception du prix ne peuvent suffire à caractériser une volonté non équivoque du sous-traitant de renoncer au bénéfice des dispositions de la loi. Elle rejette ensuite la demande de restitution de l’entrepreneur principal en considérant qu’il est fort probable que le coût supporté par le sous-traitant a été supérieur à la prévision initiale des parties, tout en confirmant la mesure d’instruction.

Une saga judiciaire qui interroge l’efficacité du système 

Le système issu de la loi de 1975 retrouve donc une certaine cohérence quelque peu perturbée par cet arrêt de la chambre commerciale. La nullité de l’article 14 sort revivifiée de cette saga judiciaire. Pour autant, on peut s’interroger sur l’efficacité de la mise en oeuvre de ces dispositions qui ont conduit les parties à s’engager dans un contentieux complexe, à débattre de la validité du contrat devant quatre juridictions, à supporter une expertise longue, entre 2014 et 2017, puis à introduire un contentieux au fond pour débattre de l’arrêté des comptes du contrat. 

On pourrait imaginer un système plus performant qui permettrait au sous-traitant d’obtenir plus rapidement satisfaction. En effet, porter une telle bataille suppose des moyens juridiques et matériels importants qui ne sont pas à la disposition de tous les sous-traitants, ainsi qu’un soutien financier permettant de faire face au portage de tels coûts sur une période longue. 

Tout ça pour ça, serait-on tenté de conclure, en suggérant une modification de ce dispositif dont l’efficacité protectrice a beaucoup perdu compte tenu de l’encombrement des juridictions, et donc de la lenteur avec laquelle tout cela est mis en oeuvre. A cet égard, la conservation par le sous-traitant de toutes les sommes payées en exécution du contrat en cas de contentieux, comme dans les deux affaires ici commentées, pourrait aller dans un sens favorable. 

Ce qu’il faut retenir

  • Par des dispositions d’ordre public, la loi de 1975 impose à l’entrepreneur principal de fournir une garantie de paiement à son sous-traitant avant la signature du contrat. 
  • Si la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en déduit l’impossibilité de renoncer à invoquer cette nullité, la chambre commerciale de cette même cour avait entrouvert une porte en 2020. Elle considérait que le sous-traitant pouvait y renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l’affectant.
  • Mais l’arrêt rendu par la juridiction de renvoi après cassation a refermé l’espace ainsi créé. Il retient la nullité du contrat malgré l’exécution par le sous-traitant de 122 commandes sans jamais bénéficier de cette garantie, dont il connaissait nécessairement l’existence.
  • Au vu de la lourdeur des procédures juridictionnelles, l’efficacité de cette solution interroge.

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